A Oran, en 1220, la situation des juifs est à ce point précaire qu'il n'existe plus de synagogue officielle. En fait, subsiste une petite communauté qui fait les frais de chaque montée de fièvre.

En 1287, un premier groupe de juifs de Majorque arrive à Oran après la conquête de l’île par Jacques 1er d'Aragon : c'est le début d'un événement capital pour l'histoire du judaïsme en Afrique du Nord.

En effet, les relations entre chrétiens et juifs de la péninsule ibérique deviennent de plus en plus difficiles et en 1391 commencent les premiers massacres en Castille, en Aragon et aux Baléares.

Le 2 août 1391, trois cents juifs de l’île de Majorque périssent avec leur rabbin, tandis que huit cents autres réussissent à s'enfuir et à gagner les côtes de l'Afrique.

Le 30 mars 1492, Ferdinand d'Espagne et Isabelle la catholique décident que, le 30 juillet suivant, il ne devra plus rester un seul juif dans leur royaume d'Aragon et de Castille ainsi que dans les îles de Sicile et de Sardaigne. Et, le mardi 31 juillet 1492, c'est 200 000 personnes qui s'expatrient et un millier d'entre eux vers le Maghreb ; Oran en recevra la plus grande part.

                                                                                 

Ces juifs espagnols s'installent à Fès, Meknès, Marrakech, Debdou, Tanger, Tétouan, Salé, Arzila, Larrache, Rabat, Safi, Tlemcen et Oran.

Leur arrivée ne se fait pas sans heurts ; ces nouveaux venus amènent avec eux une civilisation, une mentalité et des connaissances différentes de celles du milieu autochtone ; certains ont pu emporter une part de leurs richesses, qui, ajoutée à leur compétence commerciale, leur avance technique et scientifique, fait d'eux de redoutables concurrents pour les juifs déjà installés et qui depuis des siècles au contact des arabes leur ont pris leur coutumes et parlent leur langues. Ainsi, par exemple, le rabbin Amram Mérouas Ephrati essaie de combattre la coutume, empruntée aux musulmans, des sept jours de lamentations dans les cimetières.

Cependant, les sages des deux parties ont à cœur de maintenir l'unité et à l'occasion, les espagnols porteurs de bérets, sauront revêtir le turban.

Les espagnols occupent Oran jusqu'en 1708 ; ils vont en faire une ville fortifiée car ils seront continuellement harcelés par les arabes des provinces alentours et parfois même étroitement bloqués derrière leurs fortifications.

Etant donné l'isolement de la ville, le pouvoir de Philippe II est amoindri et une certaine tolérance vis-à-vis des juifs est d'abord instaurée : les juifs sont les intermédiaires entre ces chrétiens et les musulmans ; ils sont négociants et contrôlent l'approvisionnement de la garnison ; ils écoulent le butin provenant des razzias espagnoles et servent quelquefois d'intermédiaires dans le commerce des esclaves. Ils sont aussi soldats et touchent une solde du roi d’Espagne tel Salomon Cansino qui tua le chef des algérois Mustapha à l'occasion d'un des nombreux sièges de la ville. Ils occupent aussi les métiers traditionnels tels que teinturiers, cordonniers ou orfèvres.

Enfin, avec la connaissance qu'ils ont, ils vont acquérir des positions importantes comme interprètes officiels ou agents de renseignements, tels Jacob Cansino ou le célèbre rabbin Jacob Sasportas.

La population juive vit dans un quartier séparé du quartier espagnol, entouré de murailles et gardé par un escadron de soldats en armes.

Les femmes ne sortent qu'en de rares occasions ; elles ont une réputation de réserve et d'honnêteté.

Les plats du Shabbat sont portés au four public des chrétiens par des esclaves arabes.

Les juifs ont l'obligation de rester enfermés dans leur quartier pendant la semaine dite «sainte» ; ils ont l'interdiction d'agrandir leur synagogue et nous l'avons vu plus haut, l'interdiction de prier trop fort dans la synagogue (on peut se demander si l'habitude de déclamer et de chanter à voix très haute dans les synagogues algériennes n'est pas une sorte de revanche posthume contre cette interdiction).

Dans la «très chrétienne Espagne», Oran constitue la seule enclave où les juifs sont appréciés. Cette situation va susciter des attaques, les brimades contre eux reprennent et le 31 mars 1668, un arrêt d'expulsion est prononcé.

Le rabbin Aaron Siboni raconte que le 16 avril, premier jour de Pessah, un orage providentiel oblige le bateau transportant les juifs bannis à revenir dans la rade de Mers el-Kébir. Le 22 avril, quatre cent soixante six juifs sont expulsés et se dispersent dans les villes de Livourne, Villefranche et Nice.

En 1669, le marquis de Los Velez expulse tous les juifs d'Oran.

 

Le Jardin du Petit Vichy 

De 1708 à 1732, la ville passe aux mains des turcs, les juifs reviennent nombreux. Ils sont autorisés à construire une nouvelle synagogue ; ils pratiquent librement leur religion et s'organisent en juridiction autonome.

Ils deviennent suffisamment nombreux et importants pour avoir leurs propres dayanim (juges rabbiniques) qui sont successivement : Joseph Chouchana, Isaac Chouraqui et Moïse Israël.

De 1735 à 1738, les espagnols occupent à nouveau Oran et les juifs sont de nouveau expulsés ; ils s'exilent vers Tlemcen ou Mascara. Seuls quelques uns comme Moïse Delmas, David Soliman ou Jacob Cohen-Solal restent dans la ville et rendent leur présence suffisamment indispensable pour qu'en 1734, ils soient officiellement invités à se réinstaller dans la ville.

Très peu profiteront de cette offre et attendront des circonstances plus favorables, ce qui certainement leur sauvera la vie.

Car, la mémoire populaire a conservé le souvenir de la tragédie du tremblement de terre, surtout parmi les vieilles familles juives de Tlemcen, de Sidi-bel-Abbès, de Mascara et de Mostaganem. En effet, des familles comme les Bacri, les Benzaquen, les Bénichou, les Darmon et d'autres qui avaient été chassées par les Espagnols et leur inquisition, n'attendaient qu'une bonne occasion pour y revenir et de ce fait, s'intéressaient de très près à la vie de la cité.

1792 marque la naissance d'une nouvelle communauté juive à Oran ; elle ne connaîtra plus ni arrachement, ni exil avant 1962.

Si les juifs algériens n'ont pas été trop maltraités par les arabes, les turcs par contre, se sont montrés cruels et injustes ; partout les juifs sont enfermés dans le Mellah, ce ghetto hors duquel ils ne peuvent s'établir.

Ils n'ont, par exemple, pas le droit de porter des lanternes et s'ils doivent circuler la nuit, se contentent de bougies. Comme la loi fait interdiction de circuler sans lumière, ils sont en infraction au moindre courant d'air.

En revanche, d'autres juifs occupent le sommet de l'échelle sociale et même du pouvoir politique.

Ces juifs sont dits «francs», comme Mardochée Darmon (agent commercial et diplomatique du Bey) ou Bacri et Busnach (qui seront mêlés de près à l'affaire du coup d'éventail à l'origine de la venue des français).

Livournais pour la plupart, ces juifs sont considérés comme étrangers et traditionnellement placés sous la protection du Consul de France.

En 1794, des pèlerins venus de la Mecque apportent une nouvelle épidémie de peste et la ville redevient pratiquement déserte. Afin de peupler la ville, le Bey distribue à bas prix des terrains situés entre le Château Neuf et le Fort Saint André, le long du rempart Est, dans la ville haute, à des juifs venus de Nedroma, Mostaganem, Tlemcen et Mascara. Il concède, également gratuitement, un terrain pour leur cimetière.

A l’arrivée des français, la population musulmane, impuissante à lutter par les armes contre ces envahisseurs, rend les juifs responsables de la capitulation et décide de se livrer au pillage et au massacre de toute la communauté avant de fuir la ville.

Selon la tradition, les juifs se réunissent alors dans les synagogues pour une nuit de prières.

Le lendemain, les musulmans ont quitté la ville, chassés par la nouvelle de l'arrivée imminente des français.

Le 6 Av, date de cet événement, est considéré comme jour de fête : c'est le Pourim d'Oran. Le Rabbin Messaoud Darmon compose pour la circonstance un hymne en vers : ce poème sera lu dans toutes les synagogues d’Oran, tous les Shabbat précédant le 6 Av, jusqu'en 1962.

Les 40 premières années de l'occupation française, l'histoire de la communauté juive est celle d'une assimilation voulue avec beaucoup de lucidité et d'énergie par des dirigeants qui ont vu où est l'avenir et dont l'influence sur la masse est déterminante.

En 1832, le recensement indique que pour une population de 3 800 habitants, 2800 israélites vivent à Oran. En 1843, la population juive est de 4287 personnes (1531 hommes, 1356 femmes et 1400 enfants) et en 1850 elle est passée à 5073 âmes (1217 hommes, 954 femmes et 2902 enfants)

Dès 1831, Ange Amar organise une garde nationale juive.

                                             

 

Classe d’école maternelle à Oran en 1945 

 

En 1840, les autorités religieuses juives organisent des écoles où l'enseignement se fait en français. Les rabbins, successeurs des anciens dayanim sont en effet souvent très cultivés, ainsi le Rabbin Cohen-Scali qui écrit des «responsa» ou le Rabbin Moshé Sébaoun qui réunit une collection de près de cinq mille ouvrages hébraïques.

Mais, dès qu'ils en auront la possibilité, les jeunes juifs fréquenteront l'école communale, puis le lycée. Les meilleurs achèveront leurs études en France, avant de revenir s'installer en Algérie comme médecin ou avocat.

En 1840, soixante dix enfants juifs à Alger et vingt à Oran, fréquentent les écoles françaises. Le premier bachelier juif algérien fut Enos Aïnouz à Alger en 1854, et Isaac Bénichou le second à Oran en 1861. La population juive se répartit comme suit : six mille soixante cinq juifs à Alger, deux cent quatre vingt treize à Bône, cinq mille six cent trente sept à Oran, six cent quatre vingt dix huit à Mostaganem, mille cinq cent huit à Tlemcen, trois mille cent cinq à Constantine, six cent vingt cinq à Médéa, et cent douze à Miliana.

D’ici à 1831, cette population va tripler.

Grâce à l'école, la langue française pénètre rapidement dans la masse ; mais entre eux, les juifs continueront longtemps à parler la langue qu'ils se sont faite : le judéo arabe. En 1870, le français et l'hébreu se partagent encore les colonnes du journal «l'israélite algérien» publié par Moïse Netter. D'autres journaux paraissent encore dans la communauté juive d'Oran : «la jeunesse israélite», un journal franco hébraïque, paraissant tous les jeudis et dont le directeur gérant se nomme Elie Karsenty ; il comprend une page en français et trois en judéo arabe.

Le même Elie Karsenty publie aussi tous les vendredis «Maguid Micharim» un journal en judéo arabe dont le siège se trouve au 41 rue de Wagram et au 19 rue de l'Aqueduc.

«La voix d'Israël» est le bulletin officiel de l'Association cultuelle israélite du département d'Oran et parait le premier de chaque mois sous la direction de Moïse Setrouk.

Le 9 novembre 1845, c'est la mise en place de deux consistoires provinciaux. Quelques grandes familles sont omnipotentes comme les Karoubi, les Kanouï, les Lasry. Mais, pour la masse de la population juive, l'existence est précaire : les petits artisans réussissent tout juste à survivre dans les centres de l'intérieur du pays ; dans les grandes villes ils végètent : il y a dix mille sept cent cinquante et un juifs indigents à Oran dont quatre mille cinq cent vingt trois secourus ; sur vingt deux mille vingt deux juifs à Oran, quatre mille neuf cent quatre vingt quatorze sont ouvriers, colporteurs ou domestiques.

En 1859, l'Espagne déclare la guerre au Maroc. Aussitôt, près de quatre mille juifs de Tétouan et d'autres ports marocains, se réfugient à Gibraltar. Là, ils apprennent le saccage de la «judéria» (quartier juif) de Tétouan par les rifains peu avant la prise de la ville par les espagnols.

Le gouvernement de Gibraltar, avec l'accord des autorités françaises, organise l'immigration de ces juifs vers Oran ; souvent aidés par des compatriotes déjà établis dans la ville, les Tétouanais s'installent à Oran et dans toute la région : Sidi-bel-Abbès, Mascara, Mostaganem...

La crise passée, la réussite économique et le climat de liberté que représente pour eux la France, les retiendront en Oranie.

A la veille de la seconde guerre mondiale, l'Afrique du Nord compte environ quatre cent mille juifs répartis pour la plupart dans les grands centres.

Le 14 juillet 1865, date à laquelle Napoléon III signe le « senatus consulte » sur l’état des personnes et de la naturalisation, qui frappe de nationalité française les israélites et les musulmans qui le désirent, mais dans ce cas qui perdent tout recours au droit mosaïque, marque le début, en Algérie et à Oran, de la période anti-juive. Dès le début, l'antisémitisme algérien est une affaire de politique électorale. La première ligue anti-juive est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes ; nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure d'arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique, ils votent selon les indications de leur consistoire. Or ceux-ci sont parfois présidés par des personnalités aussi discutées que le fut Simon Kanoui "Le Rotschild d'Oran", grand électeur de l'Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait beaucoup trop haut et beaucoup trop fort que personne n'entrerait à la Mairie sans son aval. Quand l'affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit brusquement Des notables juifs obtiennent la citoyenneté comme Messaoud Karoubi, le président du consistoire d'Oran.

Quelques grandes familles vont aussi en bénéficier comme les Kanouï, les Lasry. Mais la masse de la population juive est plus préoccupée par sa survie et malgré les appels pressants des notables israélites, très peu solliciteront la nationalité française.

Le 24 octobre 1870, le décret Crémieux accorde la nationalisation collective : «les israélites, indigènes des départements d'Algérie, sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française.»

Ce décret s'insère dans une série de réformes concernant l'administration de l'Algérie dont le but était d'assimiler le statut de cette colonie à celui de la métropole; il fut l'aboutissement d'une longue campagne menée par des libéraux en France et en Algérie et il allait servir de prétexte à un véritable déferlement d'antisémitisme dont les dernières vagues viendront mourir au lendemain des guerres de Libération.

Au total, 34 574 israélites sont devenus citoyens français par ce décret. Au recensement de 1866, les juifs représentaient 13,5% de la population musulmane d'Algérie. Le décret Crémieux n'était applicable qu'aux juifs indigènes et à leurs descendants nés dans les territoires conquis en 1870. Il ne concerne pas les juifs des oasis et des confins algéro-marocains annexés progressivement de 1872 à 1906. En 1946, ils furent proclamés citoyens français au même titre que tous les ressortissants des territoire d'outre-mer.

Les conflits de nature politique allaient exacerber les heurts inévitables entre les éléments de la population qui avaient des origines et des niveaux si considérablement différents.

Au lieu de s'épanouir en harmonieuse continuité, les groupes ethniques allaient se replier sur eux-mêmes : les juifs devaient subir les attaques, puis les injures d'un antisémitisme qui allaient rapidement dégénérer en haine ordurière et bientôt criminelle.

Dés le début, l’antisémitisme algérien est une affaire de politique électorale. La première ligue anti-juive est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes.

Nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure d’arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique, ils votent selon les indications de leur consistoire. Or, ceux-ci sont parfois présidés par des personnalités aussi discutées que le fut Simon Kanoui « le Rotschild d’Oran », grand électeur de l’Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait beaucoup trop haut et beaucoup trop fort que personne n’entrerait à la mairie sans son aval.

Les années 1898 à 1900 concentrèrent une série d'événements à caractère révolutionnaire : La crise antijuive. On l'attribue parfois à une réaction contre la naturalisation des juifs algériens, consécutive au décret Crémieux; mais elle constitua aussi une manifestation d'hostilité envers la métropole. Certes l'antisémitisme des Européens d'Algérie était latent, mais il fut exploité par les hommes politiques locaux qui dénonçaient le « monopole » des voix juives (En Oranie, les voix juives représentaient 15% de l'électorat - plus de 50% à Tlemcen-. Les motivations d'ordre électoral restèrent toujours à l'origine de cet antijudaïsme.)

En juillet 1884, Simon Kanoui, le « Rothschild d'Oran », cristallisa cette campagne; des pillages de magasins israélites dégénérèrent en émeutes à Alger. En 1892 le socialiste anarchiste Fernand Grégoire déclarait ouverte la lutte contre les « syndicats judéo opportunistes ». Des ligues antijuives se formèrent à Constantine et Oran en 1896. En mai 1897 en Oranie, on assista à des décisions arbitraires allant de la révocation des agents de police israélites à l'expulsion de malades juifs soignés dans les hôpitaux.

Les manifestations se succédaient; des effigies de Dreyfus furent brûlées en place publique. Les menées antijuives trouvèrent un porte-parole en la personne d'un étudiant, Max Régis Milano, qui proclama en janvier 1898 «  l'heure de la révolution ». L'émeute se propagea. Le gouverneur Louis Lépine, télégraphiait au gouvernement français le 25 janvier : « Passion si violente que malgré les pertes considérables subies à Alger du fait des troubles, la seule chose que la majorité de la population regrette, c'est que les juifs et les représentants de l'autorité n'aient pas souffert davantage. »

En mai 1902, une succession d'agressions sporadiques motiva l'appel lancé à Lyautey qui se vit confier le commandement de la subdivision d'Aïn Sefra (1903-1906), puis celui de la division d'Oran (1906-1910).

Quand l’affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit brusquement.

Des ligues anti-juives se créent, rassemblant dans un parti dit « français » les électeurs de gauche. C’est le pharmacien Gobert, radical anti-juif, qui l’emporte aux élections municipales de 1897.

En mai 1897, un attentat contre un conseiller municipal d’Oran, venu à Mostaganem, assister à une course cycliste, provoque le pillage du quartier juif de cette ville par les musulmans et les européens.

Cet exemple est suivi à Oran où la mise à sac des boutiques appartenant aux israélites dure trois jours. Cependant le gouvernement refuse d’accéder aux exigences de la population qui demande l’abrogation du décret Crémieux.

Dans l'«Echo d'Oran» du 30 décembre 1894, un avocat anti-juif écrit : « l'âme algérienne est à peine esquissée, mais elle se constitue peu à peu et s'affirme lentement sous la juxtaposition des individus d'abord étrangers, progressivement solidaires et finalement confondus. Dans 50 ans, il y aura des algériens en Algérie, toujours français, mais quelque peu espagnols, italiens ou maltais, sinon légèrement teintés d'arabes. Puisqu'un jour l'Algérie ne doit plus être à la France, qu'au moins elle ne soit pas l'ennemie de la France». Il se forme alors un parti séparatiste.

Mais le marasme économique dans lequel se débat l’Algérie démobilise les politiciens.

« On ne vit pas de politique » est-il écrit dans la dépêche algérienne du 1er avril 1902. Aux élections de la même année, les candidats républicains l’emportent sur les anti-juifs : le calme est revenu.

Le porte-parole de l’anti-judaïsme sera longtemps un vieux médecin oranais, le docteur Molle.

Battu aux élections législatives de 1919 et 1924, celui que ses amis appellent le rénovateur de l'antisémitisme algérien, entreprend une violente campagne contre ces juifs auxquels il ne pardonne pas d'avoir voté contre lui.

Fondateur d’une « ligue latine » puis d’une « union latine » qui appelle l’union des latins contre les juifs, il entend avant tout décourager ou effrayer les quatre mille électeurs israélites d'Oran et attirer les huit mille électeurs d'origine espagnole, il réussit à obtenir le boycott des commerçants juifs.

Aux élections municipales de mai 1925 marquées par de graves incidents, la liste anti-juive du docteur Molle l'emporte avec deux mille voix de majorité.

Le docteur Molle est soutenu dans sa campagne par la démagogie raciste du journal «le petit Oranais» qui s'adresse au prolétariat européen pour l'inviter à «secouer le joug de l'oppression juive» et qui se révèle payante. Ce journal continue sa propagande anti-juive, même après les élections, tandis que le docteur Molle, nouveau maire d'Oran, multiplie les procédés indignes à l'égard des juifs.

Le journal «le petit Oranais» qui s'adresse «à tous les aryens de l'Europe et de l'univers» a pris pour manchette permanente une diatribe de Martin Luther : « il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés. »

Obligé, à la suite d’une plainte du gouverneur général Violette de retirer cette manchette, le journal ornera, quelques années plus tard, sa première page d’une croix gammée.

Le docteur Molle crée un mouvement d'extrême droite, le parti national populaire. Elu député d'Oran en 1928, il est tenu en suspicion par les milieux nationaux métropolitains.

Les Unions Latines du docteur Molle prospérèrent et, de 1926 à 1932, elles domineront la vie politique de l'Oranie.

En 1932, un an après la mort du docteur Molle, Oran et Sidi-bel-Abbès éliront encore des députés qui se proclament d’abord anti-juifs, par exemple Michel Pares qui se mettra au service de Mussolini.

Avec la montée de la crise économique, l’antisémitisme un peu assoupi de 1932 à 1934, se réveille ; on voit réapparaître sur les murs d'Oran des papillons reprenant les vieux mots d'ordre de 1898 : « acheter chez les juifs c'est ruiner le commerce français» ou encore «ton ennemi c'est le juif, il t'exploite, il te vole » ou ceux de 1919 «pactiser avec les juifs c'est trahir la France » ; et même ce slogan fort inadapté de 1935 : « les juifs font la vie chère.»

La police voulut en faire endosser la paternité aux musulmans, mais ceux-ci pouvaient-ils écrire : « la France aux Français, les juifs en Palestine.

Le « petit Oranais » retrouve son ton furieux de 1925 ; d’immenses croix gammées peintes au goudron apparaissent sur le mur des édifices d’Oran.

Les établissements Juan Bastos ornent leurs cahiers de papiers à cigarettes de 12 croix gammées sans qu’on puisse dire s’il s’agit d’un manifeste politique ou d’un sens publicitaire dévoyé.

La crise économique est toujours fort préoccupante et, le 17 décembre 1933, « Oran matin » note : babouchiers, cordonniers, brodeurs n’ont plus rien à faire ; tous se promènent dans les rues offrant le triste spectacle du chômage et de ses funestes conséquences.

Sur les vingt deux mille juifs que compte Oran à ce moment-là, cinq mille sont ouvriers, colporteurs ou domestiques. Mais, quatre mille cinq cent vingt trois sont indigents et secourus par leur consistoire.

Le maire, quant à lui, constate que « des tribus entières de pauvres diables n’ont rien ; tant que durent les figues de Barbarie, ils peuvent vivre ; après ils en sont réduits à voler. »

La crise viticole des années 1934 et 1935 favorise la création de fronts paysans ; celui d'Oranie explique qu'une adhésion signifie un ordre de mobilisation, un ordre de combat.

La campagne du Front Populaire sert également de prétexte à une nouvelle et vigoureuse poussée d’antisémitisme.

A Oran, le maire, l’ex-abbé Lambert, prêche, coiffé du casque colonial et ceint de l’écharpe tricolore, la mobilisation générale contre les juifs et le Front Populaire.

Fondateur des « amitiés Lambert », ou « amitiés latines », puis du rassemblement populaire d'action sociale, le maire d'Oran, l'abbé Lambert reprend la politique anti-juive des « unions latines » et désigne le Front Populaire comme une manifestation d’impérialisme juif. Il invective publiquement « ces gens qui n'ont pas de la terre de France à la semelle de leurs souliers » ; à quoi le conseiller Ghighi réplique vivement : « les mille trois cent soixante et un juifs d'Algérie dont quatre cent quatre vingt seize oranais, morts sur les champs de bataille de 1914 à 1918 n'ont-ils point de la terre de France sous leurs souliers ? »

Même les croix de feu du professeur Stanislas Devaud, qui veut être élu député passent outre aux souvenirs de la guerre pour battre la générale contre les juifs.

Le 30 décembre 1937, bien que prêtre frappé d'interdit, l’abbé Lambert déclare, revêtu de sa soutane, « les juifs ne poursuivent qu'un but : se rendre maîtres du monde. Ils ont crucifié le Christ et attendent le Messie pour nous tenir sous leur domination.»

Or, ce dangereux démagogue, idole de la plèbe oranaise, qui ne l'appelle que le « senor cura », déchaîne l’enthousiasme à chaque discours.

Son buste, vendu 3 francs, se trouve dans toutes les maisons oranaises ; c’est, parait-il, une précieuse amulette pour les femmes en couches.

En réponse au slogan diffusé par « Oran républicain » : « un juif vaut bien un breton », l'hebdomadaire « Oranie populaire » écrit : «  un juif vaudra un breton, le jour où les juifs donneront à la France, un Du Guesclin, un Dugay Trouin et quatre cent mille des leurs pour la patrie.»

Le journal antisémite « Oran matin », surnommé « Oran Berlin » commente : «Doriot est notre dernière raison d'espérer, mais avec lui rien n'est perdu.»

Il faudra la loi du 21 avril 1939, réprimant les excitations à la haine raciale pour faire taire provisoirement les anti-juifs d’Algérie.

L’abbé Lambert avait bâti sa propagande sur ses talents de sourcier, promettant l’eau douce à tous les Oranais. Mais c’est bien après lui, le 24 juillet 1952, que la ville et la région ont été alimentées en eau douce, par le barrage de Béni-Bahdel. Et, histoire de se rappeler le bon temps, bon nombre d’Oranais ajouteront du sel dans leur tasse de café.

L’Oranie s'enfiévra dangereusement au contact de la guerre civile espagnole.

L’abbé Lambert prêchait aussi l’aide à la « reconquista », et saluait en Franco, l'homme providentiel qui voulait « rétablir l'ordre et la discipline, le respect de la propriété privée et de la personne humaine au milieu des désordres et de l'avachissement des intelligences.» Bientôt, les élus de droite se feront une gloire d’avoir été les premiers à réclamer la reconnaissance officielle du gouvernement Franco. Pendant que les dirigeants des « unions latines » ravitaillaient les franquistes en volontaires et en argent, les syndicats d’Oran participaient à la contrebande de guerre et facilitaient les départs des brigades internationales.

 

L’Opération Torch

Le 19 juin 1940, l'armistice est signé entre l'Allemagne et la France. Le 17 juin, Pétain avait formé son gouvernement. L'armistice qui ampute la France de sa capitale et des deux tiers de son territoire lui laisse le contrôle de ses colonies et des protectorats.

Les Français d'Afrique du Nord sont en général solidaires de la politique du Maréchal Pétain. Ils voient en lui le héros de la Grande Guerre. Cette auréole ne manque pas d'aggraver la situation des Juifs d'Afrique du Nord. La population musulmane ne peut que baigner dans l'ambiance ouvertement collaboratrice qui prévaut ici.

C'est de sa libre initiative, sans y être contraint par des pressions allemandes que Vichy promulgue les lois raciales de 1940 et abroge le décret Crémieux. Les lois anti-juives de cette époque sont d'inspiration française. La notion de race est même étendue à certaines catégories de juifs épargnés par les lois de Nuremberg. Quand en octobre 1940, le ministre de l'Intérieur Peyrouton abrogea le décret Crémieux sur la naturalisation des Juifs algériens, il flattait l'antijudaïsme algérien tout en retirant un argument aux Musulmans qui réclamaient l'extension des droits politiques.

                                   

                            Le Charles Martel cuirassé de 1ère classe de la Marine française

En mars 1941, le Commissariat aux Affaires Juives est chargé de l'application des lois raciales avec pour mission d'éliminer l'influence juive de tous les domaines de la vie publique. Ces lois visent à l'élimination physique des Juifs autant qu'à l'effacement de l'influence culturelle du judaïsme. Aux yeux des antisémites, il ne s'agit rien de moins que de défendre la race française contre l'invasion juive. Les Juifs algériens perdent leur citoyenneté et ne peuvent plus l'obtenir, à moins d'être titulaires de décorations décernées durant la première Guerre Mondiale.

Les Juifs sont alors exclus des professions d'avocats, de médecins, du domaine des assurances, des transactions immobilières et de l'enseignement, à l'exception des écoles confessionnelles et de celles de l'Alliance Israélite Universelle. En août 1941, le nombre d'étudiants juifs est limité à 3%. Pour le second degré, il est de 7% en 1942-43. Les juifs sont également exclus des Organisations de Jeunesse.

Pour faire face à l'épreuve, sous la direction du rabbin Eisenbeth, dès le 9 janvier 1941 est créé un comité d'études, d'aide et d'assistance. Des écoles privées sont ouvertes pour accueillir les élèves exclus de l'enseignement public. A Oran, André Bénichou, professeur de philosophie, contacte des enseignants juifs et non juifs. Il demande à son ami Albert Camus d'assurer des cours de français. C'est pendant cette période que le grand écrivain situe " La Peste ".

Le 20 janvier 1942, la solution finale est décidée à la conférence de Wandsee.

Les Juifs d'Algérie font alors connaissance des camps de travail, très efficaces aux yeux des agents de la Gestapo qui les visitent au début de 1942. Il semble même que le Gouverneur Général d'Algérie, Chatel, aurait préparé des étoiles jaunes pour distinguer les juifs désormais voués au programme de la "solution finale".

Face à cette situation, les juifs comprennent vite qu'ils n'ont pas d'autre possibilité que de résister et ils s'organisent aux côtés de la Résistance, née de l'appel du Général de Gaulle. A Oran, un groupe d'universitaires crée un réseau dirigé par les frères Pierre et Roger Carcassonne auxquels se joignent Henri de la Vigerie et le Père Cordier. A la fin de 1942, la Résistance en Algérie est suffisamment forte pour avoir une influence décisive sur le cours de événements. Elle va décider les USA à libérer l'Afrique du Nord.

Depuis août 1942, les Anglais préparent "L'Opération TORCH"; cette opération prévoit d'attaquer les Allemands sur leurs arrières tandis que la Résistance française doit les harceler. Le Commandement des Armées alliées s'installe à Gibraltar, tandis que le Commandement de la Résistance est au domicile du professeur Aboulker, 26 rue Michelet à Alger.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les résistants sont à leur poste. Si à Alger tout se passe bien, si les pertes y sont minimes, il n'en va pas de même à Oran.

Les Américains, débarqués à Arzew et sur la plage des Andalouses, doivent faire face aux armées vichystes. Les combats sont durs sur la route de la Sénia, sur le Murdjadjo, à St Cloud et à Aïn El Turck. Ce n'est que le 10 novembre 1942 à 11h21 qu'Oran capitule.

La résistance de la ville coûtait 243 morts à la Marine, 94 à l'Armée et 10 à l'Aviation française de Vichy. Les forces terrestres américaines avaient perdu 276 d'entre eux.

Pour beaucoup de Français, l'Algérie d'avant 1939 était une colonie. Le rôle que ce pays fut appelé à jouer après le débarquement, l'importance de la participation des combattants pieds noirs et musulmans aux côtés de leurs camarades évadés de France contribueraient à modifier l'opinion.

Sur l'initiative du Président René Cassin, le 20 octobre 1943, le décret Crémieux est remis en vigueur.

Certains soldats juifs et non juifs sont alors incorporés dans l'armée de de Lattre de Tassigny. Ils y servent dans des régiments de défense antiaérienne ou dans l'infanterie coloniale et débarquent en Corse et à Toulon d'où ils remonteront jusqu'en Allemagne. Les autres partent avec le général Juin pour Monte Cassino où bien des soldats mourront au combat sans distinction de race ou de religion.

 

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